Ile aux Fleurs

Langage – Poésie – Parole – Silence

Projet

Sens Interdit : Ce qui est barré pour la population d’élèves dont je vais parler ci dessous, c’est à la fois, l’accès à l’audition et l’accès au sens, à la compréhension, au raisonnement.

En cette année 2017, 30 ans après avoir réalisé la classe restaurant appelée l’Île aux Fleurs, il m’a semblé important de transmettre cette expérience.

Pour ouvrir cette classe, j’avais déployé une grande énergie. En effet, l’institution dans laquelle je travaillais n’était pas favorable à ce projet.

En juin 1987, j’ai proposé le projet de classe restaurant. Il a été refusé.

Trop marginal et dérangeantJe n’ai pas baissé les bras : au début des vacances scolaires, j’ai rencontré individuellement différents protagonistes (directeur, chef de service pédagogique, chef de service éducatif, psychiatre …) et je les ai convaincus de la validité de ce projet. J’ai choisi de travailler dans ce type de classe après une formation pour l’accompagnement scolaire des enfants polyhandicapées.

Le CESDA est une institution privée, sous la tutelle de la DASS. Il accueille de jeunes sourds de 3 ans à 21 ans venus de tout le grand Sud. Il y a une catégorie d’enfants inclassables, en grande difficulté scolaire, sociale, de comportement. Répartis dans deux classes innommées : une classe de petits et une classe de grands : Ces classes sont confiées à un professeur spécialisé et un éducateur ou une éducatrice. A eux de se débrouiller pour que leurs élèves ne gênent pas le fonctionnement global du reste de l’institution.

Nous avons, au cours de l’année visité d’autres pays : Angleterre, Liban, Antilles, Louisiane. Et nous avons élaboré un menu végétarien. Au terme de quoi, nous avons rédigé un livret avec les recettes accomplies. La visite de M. Baudis, maire de Toulouse a marqué un tournant dans notre parcours : valorisation des jeunes dans l’institution, meilleure reconnaissance de la classe restaurant par l’institution. Ce projet de classe restaurant a été repris deux fois par une autre équipe.

A partir de l’élaboration des lois sur l’hygiène et la sécurité à l’école, en 2005, un tel projet devient irréalisable.

Dommage que l’école devienne un lieu aseptisé où il devient impossible de cuisiner, de faire des sorties sans prendre de multiples précautions. C’est l’ensemble de la population scolaire qui en pâtit, privant les élèves de vivre des situations expérimentales, d’acquérir le goût du risque et ainsi d’apprendre à apprendre.

Il s’agissait donc au mois de juin 1988 de faire un projet scolaire pour ces élèves. Il me semblait alors que ces jeunes étaient résignés depuis leur plus jeune âge à ce que les événements se succèdent dans leur vie quotidienne sans qu’ils puissent en comprendre les relations de cause à effet. L’esprit critique s’était peu ou pas développé chez eux. Les non-sens ne les dérangeaient pas. Ils ne savaient ni rechercher dans leur bagage personnel, ni anticiper sur les événements et cette difficulté à relier les éléments de leur vie leur bloquait l’accès au raisonnement.

La vie scolaire ordinaire ne pouvait que renforcer cette attitude car les règles qui dictent les priorités d’apprentissage sont pour la plupart du temps implicites.

Ces élèves déjà passifs face au sens des choses, subissent à fortiori leur scolarité et pratiquent les exercices proposés sans jamais les relier à leur existence. Face aux multiples petites adaptations de la vie quotidienne qui nécessitent de savoir lire, écrire, décoder, prévoir, organiser, ils sont incapables d’utiliser ce qu’ils ont appris à l’école.

Pour qu’ils commencent à devenir sujet dans leur vie, par exemple sujet exécutant une tâche dans un contexte reconnu  et compris, il me fallait diminuer le plus possible larbitraire et l’implicite dans les tâches que je pouvais leur proposer.

Et commençait à poindre à mon horizon, l’idée de projet. Ces enfants au vue de leur histoire sont sans projet pour eux-mêmes. Ni à long terme: « quel avenir m’attend ? » Ni à moyen terme: « quand vais-je revoir mes parents? » « Ni à court terme: « ai-je envie de lire cette histoire ? »  Ni même à très très court terme : « je suis en bas de la page; qu’est-ce que je fais ? »

A mon sens il ne s’agit pas de débilité, mais d’une impossibilité à s’investir, à prendre le risque d’avoir des désirs réalisables.

Le vide parental dans ces familles en pointillé pèse lourd.  Qu’avaient espéré les parents pour leurs enfants et donc que pouvaient espérer ces enfants pour eux-mêmes?

J’ai alors rangé tous les livres d’école. A partir de septembre, nous allons avec ce groupe de jeunes, tenir une fois par mois un petit restaurant ouvert à tout public et nous organiserons nos activités scolaires autour de cette réalisation.

Depuis le début de cette présentation apparaît souvent le nous : “Nous avons proposé, nous avons travaillé…”   Qui est ce nous ? Une professeure et une éducatrice.  Cette association se révélera positive. Elle aura pour mérite… De sortir du face à face prof-élève difficile à vivre du fait de la situation d’échec, pour l’élève mais aussi pour le professeur.

  • Les élèves dont nous parlons, s’ils vivent l’école comme une juxtaposition d’actes incohérents, n’en ont pas moins la capacité d’inventer leur propre système de sens et de cohérence avec leur propre logique, même si cela aboutit à des conclusions qui nous paraissent absurdes.
  • Etre à deux, cela nous aidera très souvent  à comprendre comment tel enfant arrive à telle conclusion. D’une part, nous pouvons valoriser avec lui le fait qu’il a un raisonnement, d’autre part, nous pouvons l’aider à trouver où il s’est trompé, avec quoi il a confondu… On appelle cela la pédagogie de l’erreur. Cette démarche avec des élèves en échec scolaire est une attitude de chaque instant et à tout propos. Tous ces élèves ont un certain bagage. Ils peuvent apprendre à le connaître et à se faire confiance pour y puiser. Ils ont le droit à l’erreur.

La tentation est constante de faire les choses à leur place. Il est important pour les adultes de n’avoir rien à prouver dans ce travail.

Leur échec n’est pas le nôtre et leur réussite non plus.

Un projet de bande dessinée avec des classes d’enfants sourds en 2001 et une chanson illustrée : de Thomas Fersen en 2005

Tourniconte : Une vingtaine d’élèves y participeront .

Un article concernant différents aspects de la surdité

Un article indiquant les contenus scolaires, les compétences et les objectifs.

Regards sur les élèves en cours de route.

Ces chemins sont parfois chaotiques souvent passionnants

« Nous voulons des activités scolaires vivantes, liées à l’intérêt et au devenir profond des enfants, beaucoup mieux qu’un jeu ou un passe-temps, mais du travail véritable, dont on sent le besoin, dont on voit l’utilité, auquel on se donne totalement et qui, par tous ces considérants, est puissamment générateur de dynamisme et de profit pédagogique. » Freinet

.